La fabrique des bâtards
Me voilà très très embêtée… Cela faisait vraiment longtemps que je ne m’étais pas retrouvée aussi mitigée sur un ouvrage. Fini depuis maintenant plusieurs jours, au point où j’en étais dans mon retard pour la chronique, j’ai décidé de prendre le temps d’y réfléchir, de fouiller les internets pour trouver des explications sur ce qui m’avait dérangée, d’en connaître un peu plus sur l’auteur… Aujourd’hui encore, c’est assez fébrile que je viens faire ce retour, car j’ai toujours l’impression d’être passée à côté de quelque chose, d’avoir une analyse qui n’est peut-être pas la bonne, mais quoiqu’il en soit, ce livre m’a marquée, peut-être même « choquée » ! 🙂
Vous voici déjà le résumé :
L’enlèvement d’un nouveau-né à ses co-parents déclenche une série de violences. Les forces de sécurité peinent à contenir des bandes armées. Des familles entières tentent de s’enfuir de zones urbaines qui ont fait sécession. Dans cette ambiance insurrectionnelle, les enquêteurs s’efforcent de retrouver l’enfant et d’identifier son ravisseur. Des groupes d’influence et des organisations politiques brouillent les pistes.
L’inspecteur Ledhu explore toutes les hypothèses mais son enquête lui échappe. Victor Perrodeau, son principal suspect, est pris en chasse par les hommes de main d’un magnat du porno et de sa fille, envoûtante et nocive. Les filets se resserrent autour des protagonistes de cette traque sans pitié qui traverse des territoires bouleversés.
Le fugitif qui cherche à préserver le secret de la nouvelle famille de l’enfant, doit échapper à ses poursuivants. L’enquêteur va devenir un danger et sa vie sera menacée.
Au commencement était une idée simple : partager les nouveaux-nés entre toutes les familles en désir d’enfant. Un écho à cette proposition de Yann Moix : « La vraie révolution, la vraie égalité totale, ce serait de mélanger les bébés à la naissance comme dans La vie est un long fleuve tranquille. »
Ensuite, vous voilà une petite présentation que fait l’auteur de lui-même :
« Journaliste local, je vis au cœur d’une campagne française, après avoir exploré bien des territoires. L’exercice de la presse de proximité ne permet pas les faux fuyants. Ce qui s’écrit se vérifie et celui qui triche doit rendre des comptes. L’actualité locale se raconte au contact de ceux qui la vivent, à l’exclusion du dogmatisme et des points de vue préconçus.
C’est pourquoi j’ai choisi de publier La Fabrique des bâtards sous pseudonyme. Livrer un roman en qualité de journaliste, c’est tromper son monde. Magnus Latro est l’alter ego d’un reporter, l’inventeur d’histoires d’un chroniqueur du réel. »
Du coup, je vous passe les détails du synopsis : une intrigue aux allures dystopiques qui commence fort. Pour ma part, je suis rentrée de suite dans la narration de cette dernière que je trouvais originale et très bien pensée; pas si loin de ce que l’on pourrait voir aujourd’hui finalement. Un partage des naissances, un effacement de la nationalité, des coutumes, des genres… Pourquoi pas ? Surtout si tout ça se fait sur une base du volontariat. Aux premières lignes, je me croyais dans Handmaid’s tale, où l’arrivée d’un bébé est un cadeau, mais que la mère biologique donne naissance pour quelqu’un d’autre, une autre caste, un autre univers. En revanche, on voit très vite que, même si le départ est sensiblement similaire, on croise rapidement un autre chemin, celui de l’égalité des chances à devenir parents. Du couple stérile au couple homosexuel, on « gagne » un enfant alors qu’on ne peut pas en avoir. Toutes ces idées sont implantées dès le début dans le décor, et je m’en voyais ravie… J’attendais avec impatience le hic.
Mon problème ? C’est qu’il n’est pas arrivé comme je l’attendais. On se retrouve propulsés dans une machination socio-politique, plus politique que sociale d’ailleurs. Un message fort pour montrer du doigts les faiblesses et les magouilles d’un gouvernement face aux exodes et à l’immigration. D’un côté les politiques corrompus/corruptibles, et de l’autre le peuple, un peu mouton, faible et malléable. Pour ma part, je pense que le sujet n’est pas mauvais à traiter, c’est la réunion des deux qui m’a déstabilisée. Je ne savais pas trop quoi penser entre les personnages et la narration. Je ne sais pas où sont différenciées, si et quand elles le sont, les idées des protagonistes et celles de l’auteur. Non pas qu’un auteur engagé me dérange, bien au contraire, mais je préfère quand il n’y a pas de quiproquos. Et c’est là, mes amis que je m’en veux et que je pense être passée à côté : j’ai trouvé un message fort, délivré de façon un peu « brouillon ». Attention, là encore, je parle de la donne politique, de façon totalement subjective (au passage), celle qui donne le ton du roman, mais qui n’en fait pas la totalité. Il m’a semblé que c’était en soufflant le chaud et le froid, que le style tantôt distant, tantôt compatissant me noyait un peu et a fini par me perdre. Du coup, je ne sais pas quoi penser de cette partie là, mais comme elle est très présente, comprenez bien ma gène quant au « mitigé » 😉 Peut-être aussi est-ce en partie un simple désaccord, une pensée qui n’est tout simplement pas universelle, et du coup… Peut-être que je ne la partage pas, que je n’ai pas ce visu sur le monde, sur l’immigration, ou sur l’évolution de la GPA (gestation pour autrui), sur l’homosexualité ou encore sur les différents composants de notre société, qu’ils soient de genre, de nombre ou de « race ». Des idées bien données qui, à mon avis personnel, viennent troubler le rythme de lecture.
Quoiqu’il en soit, ce livre et ses pages m’ont donné du fil a retordre, mais comprenons-nous bien, pas dans l’écriture, pas dans le sens, pas dans le style, mais dans l’idée. Ce n’est pas sans effort que je me suis mise à la place des différents personnages et de leur point de vue attribués. Même si certains sont aux antipodes de mes convictions, des éléments de compréhension se sont glissés, et, toujours en désaccord, j’arrive à cerner ce qu’il en est et les arguments qui sont donnés, que je les cautionne ou non n’est donc plus à prendre en compte puisque je les comprends 😉
Après ce point noir qui n’est malheureusement pas des moindres, et qui m’a bien freinée dans mon premier enthousiasme, je me dois aussi de parler en revanche de ce que j’ai trouvé très bon. Pour commencer, l’idée de la co-parentalité. Autant vous dire que si un tel projet voyait le jour, je ne pense pas y participer, mais j’ai bel et bien trouvé cette possibilité audacieuse bien pensée, un point de départ original.
Ensuite, la construction du roman en elle-même est bonne : un écrit au présent qui nous pousse à suivre les différents rebondissement auprès des personnages, et de voir au plus près leur évolution. Les deux protagonistes récurrents, Victor et l’inspecteur Ledhu (de loin le plus attachant pour ma part, celui qui se « remet en question » en quête d’une vérité que beaucoup occultent) ont une évolution dans le roman assez marquée. On sent le coté entier de l’être, ni tout blanc ni tout noir, juste des personnes qui vont se battre et qui seront prêtes à tout pour défendre leurs convictions, quelles qu’elles soient. Les autres personnages, pour ma part, sont un peu plus caricaturaux.
Enfin, si je ne partage pas les idées développées, je dois reconnaître que celles-ci sont amenées intelligemment et posées au bon endroit. Il faut donc reconnaître un certain brio dans le développement de fond.
Du coup, je remercie l’auteur, vraiment, pour m’avoir permis de découvrir son roman, son intrigue, et de m’avoir fait partager ces pics d’idées qui pourraient animer sans soucis un repas de famille. Qui a dit que la politique, la religion ou l’argent devaient rester des sujets tabous ? En effet, nous avons là un bon panel des choses « dérangeantes » étalées sous l’œil averti des lecteurs, et laissant une marque. Elle peut être celle de la satisfaction tout comme celle de l’amertume. Quoiqu’il en soit, je suis certaine que cet écrit ne peut laisser indifférent, et pour ça, chapeau l’artiste ! 🙂
Bonne lecture à tous ! 🙂