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Un amour inattendu

Concours de nouvelle proposé sur facebook sur le thème de la St Valentin. Je vous laisse deviner que « l’amour toujours » n’est pas mon thème de prédilection donc… voici une petite revisite du coup de foudre 😉

Bonne lecture

1 – Henri

Bien que trentenaire, il passait encore régulièrement chez sa mère, dont il sortait à l’instant. Cela lui valait bon nombre de moqueries de ses collègues et amis qui le trouvaient trop sensible, car il aimait ses visites. Il passa enfin la porte de son appartement en étant essoufflé des trois étages qu’il venait de monter et se surprenait à penser qu’il reprendrait le sport d’ici peu et arrêterait de fumer par la même occasion. Voilà les bonnes résolutions qu’il avait prises pour cette nouvelle année 2019, et cette fois, il se promit de s’y tenir. Il en avait marre, voulait changer de vie. Il se savait trop gentil, trop sensible, trop… tout. Ses amies le croyaient « homo » comme elles disaient et ses amis se moquaient de lui et de ses cas de conscience perpétuels : « est-ce que j’ai bien agi ? Ai-je fait de la peine à untel ?… ». Lui qui s’était persuadé à tort que l’avis des autres ne lui importait pas, que l’apparence ne comptait pas, il ne se supportait plus ou du moins, ne supportait plus tous ses jugements. Bref, il voulait vivre autrement afin que Lola le remarque enfin et refusait que quiconque vienne déjouer son nouvel objectif.

Lola, c’était sa voisine de palier. Cela faisait maintenant quasi deux ans qu’ils étaient dans le même immeuble et il n’avait toujours pas réussi à lui adresser la parole autrement que pour sortir des banalités qui faisaient finalement entrer la jeune femme dans la « friend zone » tant redoutée de tous. Pourtant, elle était belle, Lola. Elle plaisait aux hommes, le savait et savait en profiter. Elle faisait partie de ces femmes qui savaient jouer de leurs atouts et, il faut être réaliste, elle aurait eu tort de s’en priver. Henri était donc perdu, baignant dans sa fragilité qui était devenue sa pire ennemie, il ne savait pas comment s’affirmer et montrer à Lola qu’il pourrait faire son bonheur si elle lui en laissait la chance.

Il était parti travailler de bonne heure ce matin-là, car il avait rendez-vous avec Isabelle, son amie d’enfance, en fin d’après-midi. Ne voulant pas rater cette belle occasion de lui faire part de son projet, il passa en revanche à côté de ses habitudes matinales comme lire son journal avec sa tasse de café ou encore faire le tour de son mur d’actualités sur Facebook… mais pire encore, il ne croiserait pas Lola de qui il frôlait l’épaule chaque matin au point de pouvoir sentir son enivrant parfum. Il se dit alors qu’une fois n’est pas coutume et qu’il la verrait en rentrant. Il comprit aussi dès lors qu’elle était devenue son obsession alors qu’elle ne connaissait qu’à peine son existence. Elle faisait de lui son toutou, son jouet fétiche duquel elle se servait à chaque occasion : sortir la poubelle vu qu’il allait déposer la sienne, l’aider à monter ses courses, car au final, il montait chez lui… Il ne pouvait pas s’empêcher d’accepter, c’est vrai qu’à chaque fois qu’elle lui demandait quelque chose en ce sens, cela ne le dérangeait pas vraiment, c’était sur son chemin et ça permettait de briser un peu la glace. Ce n’était pas, ceci dit, une véritable technique de drague et il n’était même sûr qu’elle connaissait son nom, mais il s’en fichait, car elle lui permettait quand même à de rares occasions de parler avec elle, et ça lui convenait. Ça lui convenait, certes, mais cela ne lui suffisait plus. Il voulait autre chose, il en voulait plus, il voulait être Bryan, Joe ou encore Lucas… Il voulait être un de ceux à qui elle accordait des caresses ou encore des baisers. Pour ce faire, il fallait donc qu’il change, et il allait en faire part à Isabelle, car elle saurait l’aider, il en était persuadé.

2 – Lola

Elle montait quatre à quatre les marches de l’escalier trop long qui la conduisait chez elle quand elle croisa Henri sur le perron.

— Bonjour, dit-elle dans un sourire courtois. Comment ça va ?

— Ça va, merci. J’arrive à l’instant et je boirais bien une bière, tu en veux une ? Proposa-t-il timidement.

— Non, merci. Je n’ai pas vraiment le temps. Je dois me préparer et je suis invitée. Lucas m’attend en bas, on se fait une soirée resto-ciné. Une prochaine fois.

— Ça marche, bonne soirée.

Alors qu’elle regardait Henri rentrer chez lui, déçu, elle eut un petit pincement. Elle se disait qu’une fois au moins, elle pourrait accepter une de ses invitations. Ce jeune homme ne l’intéressait pas, mais il faisait toujours ce qu’elle voulait et sans aucun signe d’agacement. C’était tout de même un voisin agréable et sympathique, cela ne l’engageait à rien de lui faire le plaisir de boire un apéro avec lui. C’est en se disant qu’au final, elle n’avait rien exigé de lui donc elle ne lui devait rien, qu’elle retrouva son sourire. Elle connaissait ce genre de garçon qui ferait tout et n’importe quoi pour réclamer une miette d’attention et elle se promit pour la nouvelle année d’accepter de passer une soirée avec lui pour qu’ils fassent plus ample connaissance. Mais pas ce soir-là. Elle entra dans son appartement pour aller se changer. Elle s’apprêta en vitesse pour rejoindre son compagnon du moment. Même si elle savait qu’il était patient et qu’une vraie femme sait se faire attendre comme le voulait l’adage, elle se refusait à prendre le risque de rater le début du film.

Elle arriva tout sourire en bas de l’immeuble où elle était attendue par Lucas. Il était au volant de son superbe cabriolet, les cheveux coiffés de gel, le sourire dévoilant une grande partie de ses dents bien blanches. Elle se retourna une dernière fois comme pour vérifier si elle n’avait rien oublié et croisa le regard d’Henri qui était à sa fenêtre. Alors qu’elle venait d’embrasser Lucas avec ferveur, elle se joua un peu plus du jeune homme en lui faisant un signe de la main. Comme s’il en avait été gêné, elle vit Henri disparaître derrière un rideau qu’il venait de tirer. Amusée, elle monta donc dans le véhicule aux cotés de Lucas et ils partirent vers le cinéma.

Elle connaissait mal Lucas, elle le savait, mais elle s’en rendait de plus en plus compte lors de leur dîner. Il lui sembla inintéressant au possible, n’ayant ni conversation ni goûts communs avec elle. Elle se lassa rapidement de la soirée et décida de l’écourter avant que cela ne tourne au vinaigre. Faisant mine d’être fatiguée de sa semaine de travail et prétextant devoir se lever tôt pour son dernier jour, elle demanda à Lucas de la raccompagner, car elle voulait ne pas se coucher trop tard. Ce dernier masquant sa déception accepta et régla l’addition avant de lui tendre son manteau.

Rentrée, elle se vautra dans son canapé avant d’allumer son poste de télé et de mettre en route sa série fétiche : Grey’s anatomy. Elle n’aimait pas cette série pour son caractère un peu fleur bleue de cette équipe de médecins qui ouvrait le bal d’aventures innombrables entre les uns et les autres, mais elle appréciait les coups bas et les secrets qui se cachaient sensiblement derrière chacun des personnages. Ils se faisaient du mal, souvent volontairement, et le public dont elle faisait partie aimait ça.

3 – Isabelle

— Eh ben, tu en as mis du temps. J’ai failli rebrousser chemin.

— Pardon, j’ai dû aller faire une course imprévue, mais je suis là, non ? répondit Henri avec un sourire.

Il s’avançait vers la table du café où Isabelle l’attendait, un sourire narquois au bord des lèvres. Cela commençait à faire un moment qu’ils se rencontraient tous les vendredis. Elle, célibataire endurcie que les histoires d’amour rendaient folle, car elle n’y croyait pas et lui, l’amoureux transi qui a toujours une anecdote sur la femme de ses rêves à qui il n’arrive pas à parler. Voilà notre beau couple qui pouvait parler pendant des heures en échangeant sur leurs avis complètement opposés sur la question. Pour lui, ce n’était qu’un problème de timing. Si Isabelle était quelqu’un de patient, elle restait passablement agacée par les jérémiades d’Henri qui se plaignait de ne pas attirer l’attention de Lola, mais qui ne faisait rien pour. Elle ne savait plus quoi lui dire. Elle avait bien compris que ses encouragements tombaient toujours à plat donc n’y voyait plus d’utilité et avait donc cessé d’essayer. Elle se contentait donc de l’écouter, car elle savait que cela leur faisait du bien à tous les deux. Lui avait une épaule sur laquelle s’épancher et elle chassait la monotonie de son quotidien en venant donner des leçons de vie à son ami.

Elle le regarda droit dans les yeux une fois qu’il fut installé et lui demanda :

— Alors, tu en es où avec ta belle ?

— M’en parle pas, c’est justement de ça que je voulais te parler.

— Tu m’en diras tant ! dit-elle en pouffant de rire, comme c’est surprenant !

— Arrête de te moquer je te prie. J’ai une superbe idée. Cette fameuse idée, quoiqu’en soit le résultat, ne pourra m’être que bénéfique. Je compte me mettre au sport, changer de look et arrêter de fumer. Le changement me gagnera et… un esprit sain dans un corps sain, n’est-ce pas ? Prendre un nouveau style de vie m’aidera sans doute à gagner en confiance, qu’en penses-tu ?

— J’en pense que ça dépend de tes motivations. Est-ce que tu fais ça d’abord pour toi ou d’abord pour elle ?

— Oh, s’il te plaît ! Bien évidemment que je le fais pour moi !

— Si c’est vraiment le cas, je suis contente pour toi. Arrêter de fumer me semble être une bonne idée, même si je sais d’avance que tu ne tiendras pas. Quant au sport et au nouveau genre, je veux bien t’aider. Je te propose même de jouer les coaches si le cœur t’en dit. Ça pourrait être sympa…

— Ce serait même génial, faisons ça !

Amusée, elle finit son café et ils continuèrent un peu à parler de tout et de n’importe quoi, mais surtout de Lola. Cette histoire ne finirait jamais, pas plus qu’elle ne commencerait si Henri n’avait pas un coup de pouce et ça, Isabelle le savait. Cela faisait bien un an et demi maintenant qu’il lui parlait régulièrement de cette femme qu’elle n’avait jamais vue et, à défaut d’en être jalouse, elle commençait sérieusement à en avoir marre de voir son ami s’engluer dans une telle aventure à laquelle lui seul semblait croire. Ne sachant plus quoi lui dire ni lui conseiller, leurs rencontres se terminaient toujours de la même façon : lui, désespéré de ne pas être plus entreprenant et ayant peur à chaque fois qu’il croisait la fille dont il rêvait et elle, qui n’ayant rien à ajouter, essayait de mettre un terme à l’entretien quelque peu répétitif, une boucle qui ne se refermait jamais.

Isabelle était gentille, elle tenait réellement à Henri. Elle aurait fait n’importe quoi pour cet homme qu’elle considérait depuis longtemps comme son frère, mais elle n’arrivait pas à lui faire prendre confiance en lui ou tout du moins, à lui faire comprendre que ce n’est pas en stagnant sur une chose ou une personne qu’il idéalisait qu’il avancerait. Ses bonnes résolutions et ses belles promesses qu’elle savait perdues d’avance lui donnèrent un minimum d’espoir, mais elle savait au fond d’elle qu’il faisait ça pour de mauvaises raisons, qu’il ne les tiendrait pas (comme tout un chacun) et qu’il allait en souffrir. Elle savait qu’il fallait qu’elle trouve une solution et, elle aussi, prit une bonne résolution. Celle de trouver une amie à son Henri, une fille bien, jolie, sympa et avec laquelle il filerait le parfait bonheur.

Elle rentra donc chez elle et, une fois arrivée, ses idées s’étaient mises en place et elle eut comme un éclat de lucidité. Tout lui sembla plus clair et elle savait dès lors comment elle allait procéder pour rendre Henri heureux. Elle commença sur le champ sa tâche et fit des recherches sur internet pour savoir par où commencer et qui contacter.

4 – Marcus

Marcus était quelqu’un de sombre. Solitaire, il rêvassait souvent à une vie normale. Il désirait ce qu’il voyait au quotidien en sachant pertinemment qu’il ne pourrait jamais l’avoir. Une compagne, une maison ou un bel appartement, mieux encore, une vie de famille. Mais la vie en décida autrement, il avait un travail peu connu voire ignoré, il avait des contrats et ces contrats étaient sur des têtes, des gens. Une sorte de chasseur mais un de ceux qui ne s’assumaient pas.

N’ayant jamais personne à ses côtés, il avait du mal à s’imaginer un jour pouvoir trouver un emploi « banal » et mener une vie « banale », une vie comme tout le monde. Il avait été contacté aujourd’hui et, sans même connaître la personne qu’il devait cibler, il n’en avait pas envie. Il ne voulait plus exécuter le bonheur des autres, quel qu’en soit le prix. Il ne souhaitait plus particulièrement jouer sur les destins contre quelques pièces. Il se promit alors que ce contrat serait le dernier. Au final, tout le monde prenait ce qu’on appelle de bonnes résolutions pour fêter la nouvelle année. Pourquoi ne pas commencer par là pour devenir monsieur tout le monde ? Il se dit alors que ce contrat serait respecté, certes, mais qu’il marquerait la fin de ce travail ingrat.

Il commença donc ses recherches. Il devait trouver une certaine Lola. On l’avait contacté en lui donnant quelques indications sur là où elle vivait, ce qu’elle faisait comme travail, sur qui elle voyait… Il sut dès lors qu’elle connaissait beaucoup de monde et qu’elle était de ceux qui n’avaient pas froid aux yeux. Il pensa aussitôt que sa proie ne serait pas souvent seule et que de telles circonstances allaient rendre sa tâche plus délicate. Il fallait qu’il la traque lui-même pour savoir ce qu’il en était réellement et qui elle était. Il voulait analyser d’un peu plus près ses failles et les endroits qu’elle fréquentait, ceux où il pourrait agir avec discrétion, sans se faire repérer.

Le lendemain matin, alors qu’il allait commencer ses recherches, il croisa un jeune homme chétif et assez maladroit, il affichait une timidité flagrante aux yeux de tous, c’en était touchant. Le pauvre venait de se prendre les pieds dans une table en terrasse d’un café et de s’étaler littéralement devant lui. Il se trouve que, quand il leva la tête vers Marcus, celui-ci le reconnut instantanément, il en avait une photo dans le dossier de sa victime : Henri. Marcus l’invita tout naturellement à boire un café pour se remettre de ses émotions. Peut-être pourrait-il par la même occasion en profiter pour glaner quelques informations supplémentaires sur sa cible.

— Ça va ? Vous ne vous êtes pas fait trop mal ?

— Non, pas vraiment, merci. Il faut dire que si j’étais moins tête en l’air.

— Alors dites-moi, si ce n’est pas trop indiscret, où alliez-vous comme ça pour ne pas avoir vu la table ?

— Je rentre chez moi, j’attendais avec impatience la fin de journée.

— Pourquoi donc rentrer si vite, vous êtes attendu ?

Voyant le regard interrogateur d’Henri, Marcus s’excusa de son indiscrétion. N’ayant pas beaucoup de rapports avec les autres, il avait un peu de mal à comprendre les codes sociaux et, de ce fait, se montrait souvent pressant dans ses propos mais ne voulait en aucun cas être impoli. Henri lui sourît. Il lui expliqua que cette manière de s’adresser aux gens était en effet peu commune mais qu’elle avait l’avantage de le faire sourire. Il lui dit aussi qu’il voulait rentrer pour prendre un verre tranquille et passer une soirée au calme. D’un sourire entendu, ils pensèrent tous les deux à la même chose et, d’une façon peu banale, se mirent d’accord pour partager un verre. Le genre de rencontre qu’Henri ne faisait pas tous les jours, cela l’amusa et il allait de ce fait renseigner malgré lui celui qui cherchait son aimée.

— Vu que personne ne m’attend, pour répondre à la question, je commanderais bien une bière, et vous ?

— Vendu, deux bières ce sera. Alors, qu’est-ce que vous faites ici ? Vous habitez le quartier ? Vous avez de la famille ? Racontez-moi tout, c’est tellement sympa d’échanger avec les inconnus.

Quelque peu surpris, Henri se prêta quand même volontiers au jeu surprenant de l’inconnu. Les bières leur furent déposées devant eux et ils se délectèrent de quelques gorgées avant qu’Henri ne reprenne.

— J’habite en effet tout près, vous voyez l’immeuble d’en face ? Je réside là. Trois étages et pas d’ascenseur. Je ne suis pas le plus à plaindre quand on sait qu’il y a quinze étages au final. J’ai ma mère qui n’habite pas loin et qui représente à ce jour mon unique famille, dit-il dans un sourire un peu faux.

— Vous avez l’air déçu à cette annonce.

— Oh, vous savez, comme tout le monde. On s’imagine souvent avec quelqu’un, une personne qui partagerait notre vie et qui rendrait notre quotidien un peu moins sordide. Métro boulot dodo, pourquoi pas, mais à deux, c’est mieux, non ?

— À qui le dites-vous ! s’exclama Marcus sans vraiment savoir de quoi il parlait.

Ils restèrent tous les deux pensifs en volant quelques gorgées de bière supplémentaires. Sans un mot de plus, ils se plongèrent tous les deux dans leurs réflexions et Marcus fixa le fameux immeuble. Il réfléchissait et se dit qu’il s’agissait d’une aubaine, car c’était bien le même que celui de Lola. Ils vivaient au même endroit, ce serait une bonne chose pour l’approcher. Il se creusa la tête pour trouver une solution afin de prolonger cet instant et d’essayer d’en savoir un peu plus. Aller voir de plus près ce fichu immeuble ? Soudain, il eut une idée.

— Je viens d’assez loin pour ma part. Je pensais ne venir ici qu’en touriste pour un emploi saisonnier, mais il se trouve qu’on m’a proposé un contrat plutôt intéressant et je me demande où m’installer à moindres frais sans tomber dans un taudis. Je suppose que vous connaissez bien le coin, est-ce que vous auriez des conseils à me donner ?

— Je n’ai pas l’occasion de faire ça tous les jours, mais au point où nous en sommes dans l’originalité… Il y a des appartements à louer dans la résidence. Vu qu’il s’agit d’une copropriété, tous les logements se ressemblent. Si vous le souhaitez, passez faire un saut et jeter un œil à l’appartement. S’il vous convient, à défaut de louer dans cet immeuble en particulier, vous aurez une idée de ce qui se fait dans ce quartier et vous pourrez faire le point sur vos recherches.

Marcus était choqué de cette proposition mais dans le bon sens. Il se dit tout d’abord que ce jeune homme somme toute bien sympathique était, en plus de maladroit, bien moins timide qu’il ne le pensait et surtout, bien plus naïf. À y réfléchir à deux fois, peut-être aussi qu’il abandonnait sa timidité pour palier à sa solitude. Laquelle semblait lui peser énormément. Sur ce point, ils se ressemblaient. À l’offre d’une soirée qui s’annonçait bien, Marcus n’eut pas le cœur de refuser et prit le chemin qu’Henri lui annonçait. Ils partirent tous les deux en direction de son appartement et montèrent les fameux trois étages.

Arrivés sur le seuil, Marcus eut un temps d’arrêt. Il reconnut aussitôt Lola. Elle se tenait droite sur le palier, le visage pâle et le regard dans le vide. Elle ne prit pas le temps de les saluer et claqua la porte de chez elle qu’elle venait à peine de franchir. Marcus vit une lueur dans le regard d’Henri. Il tenta de sonder cet air triste et finit par lui faire la réflexion.

— Pardon de cette remarque mais… vous êtes amoureux ou quoi ? demanda-t-il en pouffant.

En voyant des éclairs pointer dans les yeux d’Henri, il tenta de se rattraper, se confondant en excuses mais vit que le mal était fait.

— Je suis désolé, je ne pensais pas à mal, je voulais juste blaguer un peu. Loin de moi l’idée de vous blesser.

— Vous n’y êtes pour rien, cessez de vous morfondre. Cette fille dont je cherche à me rapprocher depuis maintenant plusieurs mois, ne me porte aucun intérêt. Elle enchaîne les conquêtes et il faut que je m’y fasse, je ne serai jamais l’une d’entre elles.

— Comment ça ?

— Oh, je ne la juge en rien, ne vous méprenez pas. Mais elle joue de ses atouts et, en ayant très peu moi-même, je vous laisse deviner que je ne l’intéresse pas. J’ai pris mon mal en patience et ai su l’attendre, mais je pense qu’elle ne viendra jamais, alors je me résigne petit à petit. Vous savez, c’est dur de tourner la page sur une personne que vous croisez au moins deux fois par jour.

— Tant que ça ?

— Bah, le matin en allant travailler, le soir en rentrant… Il semblerait qu’on ait des horaires assez proches. De plus, je me suis mis au sport récemment, et je crois que nous allons dans la même salle. C’est à croire que le destin aime se jouer de moi. Mais bon, coupa-t-il précipitamment, vous n’êtes pas venu pour ça. Faites donc le tour de l’appartement, il n’est pas très grand mais quand on vit tout seul, il est plutôt confortable.

— Merci beaucoup pour cet accueil, je vais en effet regarder ça, mais dites-moi s’il y a des portes que je ne dois pas franchir. Je ne voudrais pas être encore plus indiscret que je ne l’ai été jusqu’à maintenant, dit-il dans un sourire franc.

Quand il eut fini sa visite, Marcus échangea encore quelques mots avec Henri et une bière qu’il conservait dans son frigo pour ses soirées en solitaire. Il écourta la soirée, ne voulant pas abuser de son hospitalité et de sa gentillesse. Il ressentait vraiment de la compassion pour ce jeune homme qui se voulait rêveur et drôlement avenant. C’est presque à contre cœur qu’il quitta Henri. Il lui serra chaleureusement la main, le remercia de nouveau et partir l’esprit serein. Il savait où habitait Lola, qu’elle vivait seule malgré ses conquêtes, qu’elle allait faire du sport dans la rue Jaurès le jeudi et qu’elle rentrait chez elle chaque soir. Ces renseignements étaient quasi inespérés, il allait pouvoir réfléchir à son plan de façon plus précise.

***

Voilà que le jeudi arrivait. Il alla se planter sur les bureaux de la rue Jean Jaurès qui faisaient face à cette fameuse salle de sport. Il voyait à travers ses jumelles Henri qui se forçait à courir à vitesse régulière sur un tapis roulant. Il fit un tour rapide de la salle et aperçut enfin Lola. Elle était dans une tenue moulante, souriait à tout-va à tous les mâles bien battis qui lui passaient devant et ne portait aucun intérêt à Henri. Il comprit vite qu’en effet, c’était perdu d’avance, que toute l’énergie qu’il dépensait à vouloir séduire cette fille qui se donnait autant de mal à l’ignorer, il ferait bien de la garder pour quelque chose de plus constructif.

Il savait qu’il devait attendre que la salle se vide, qu’il ne devait pas y avoir de témoin, ou du moins le moins possible. Il patienta donc en regardant Henri se démener, l’air absent. La douleur de voir Lola lui déformait presque plus les traits que l’effort physique qu’il était en train de réaliser.

Les sportifs en herbe partaient petit à petit, les uns après les autres. Le temps passait lentement, il ne savait plus trop comment s’occuper sans s’immiscer de trop dans l’intimité d’Henri, il n’aimait pas s’attacher. Il ne voulait aucun lien, aucun sentiments pour ses victimes ou leur entourage. Il savait que ses missions étaient particulières, des « one shot », qu’elles l’emmèneraient à rencontrer des gens, ces mêmes gens qu’il devait fuir à cause de la vie qu’il menait.

Il reprit donc ses jumelles, remarqua qu’il ne restait plus grand monde et surtout, que Lola était sur le tapis juste à côté de celui d’Henri. Ceci le fit sourire malgré lui et il se mit à penser à voix haute :il ne faudrait pas que mon ressenti à la regarder le faire souffrir me fasse quitter des yeux mon véritable but. C’est donc avec le sourire aux lèvres qu’il leva son arme et cibla la jeune femme en espérant secrètement qu’Henri le pardonnerait.

Il ajusta sa visée et porta le tir. Quand ce fut fait, il reprit ses jumelles pour faire le point rapide sur la situation, vit la jeune femme tombée du tapis et Henri se jeter sur elle, paniqué, les larmes aux yeux, cherchant à comprendre ce qui venait d’arriver. Il fit un tour rapide de la salle de sport et lâcha ses jumelles de surprise, voulut s’enfuir en hâte mais était sous le choc. Il venait de voir son commanditaire près d’Henri…

Le lendemain…

Marcus se présenta devant Isabelle avec tous les papiers en main. Surpris de revoir la jeune femme avec un sourire aux lèvres, il s’avança vers elle.

— Vous êtes une belle personne ma chère. Vous tenez à votre ami et ce, sans concession, sans arrière-pensée, c’est magnifique. Rares sont les gens à qui j’ai eu affaire et qui ont eu des sentiments aussi profonds et sincères. Merci à vous, vous m’avez rendu foi en l’humanité, ce n’était pourtant pas un pari gagné d’avance. Peut-être que finalement, je vais continuer. De mon côté, tout est bon, les dates sont respectées, j’avais jusqu’au 14 février minuit, il est midi, dit-il dans un sourire lumineux. Je vous laisse aller souhaiter une excellente Saint-Valentin à votre ami, il n’en passera jamais de si belles ! En espérant vous recroiser bientôt, je ne vous souhaite que le meilleur.

— Avant que vous ne partiez, j’ai une question qui me trotte depuis quelques jours.

— Je vous en prie, dites-moi.

— D’où vous vient ce prénom peu courant ?

— Ne suis-je pas le fils de Mars et de Vénus ? Une simple combinaison, un mélange pour le meilleur et pour le pire, une union des deux noms qui me donne un semblant d’anonymat parmi vous.

Ils échangèrent alors un sourire non feint et s’éloignèrent l’un de l’autre le cœur serré de devoir mettre un terme à une si jolie rencontre. Pour elle-même, Isabelle rajouta « à bientôt peut-être » d’une voix feutrée qu’elle fut la seule à entendre.

***

Isabelle rejoignit Henri avec un peu d’appréhension mais beaucoup d’impatience. Il lui tardait de savoir comment s’était finie cette folle nuit. Ils se retrouvèrent tous deux à la terrasse du café en bas de chez lui, celle où il avait rencontré son sauveur, celui qui lui avait rendu espoir en l’avenir et qui lui avait offert une toute nouvelle vision des choses. Il lui avait offert par la même l’amour, celui qu’il attendait depuis si longtemps et jamais il ne saurait comment le remercier ni même si un jour il en aurait l’occasion. Au final, c’était bien à Isabelle qu’il en devait le plus, c’était grâce à elle si aujourd’hui Lola ne l’ignorait plus. C’était grâce à elle si elle se montrait si avenante et, que depuis hier soir, même si peu importait pour combien de temps, ils filaient le parfait amour.

C’est grâce à Isabelle que Lola a été touchée en plein cœur par la flèche de Cupidon !

FIN

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